Par Antoine Buisseret, vice-président de l’UAFS, architecte associé de Groupe-6
Que peut-on apprendre de la crise pour concevoir l’hôpital de demain ?
La crise a joué un rôle de révélateur des déséquilibres structurels plus profonds qui fragilisaient l’hôpital public depuis plus de 30 ans. Elle a été le démonstrateur d’une intelligence collective basée sur l’usage, des vertus de la gouvernance de proximité, et a libéré des synergies nouvelles en laissant plus de place aux retours d’expérience des acteurs de terrain. Aujourd’hui, elle ouvre à une approche renouvelée de la conception de l’hôpital, de son rapport à la ville et au soin.
L’hôpital est un bien commun
Dans un monde globalisé, l’Hôpital demeure un véritable espace public où se croisent des citoyens de tous horizons, de toutes origines et classes sociales. Il fait partie du socle de notre modèle social. L’actualité récente nous révèle son importance dans la vie de la Cité et sa dimension fédératrice à échelle de la société. Son rôle et sa fonction sont inestimables. La mission de l’Hôpital public va au-delà du soin, de l’enseignement et de la recherche : vecteur d’inclusion, symbole du modèle républicain, il est à la fois un pilier de la cité et un lieu d’humanité, d’empathie et d’urbanité. Il rassemble soin, prévention, information mais aussi culture et éducation, pour les patients et leurs familles. C’est un lieu propice à l’innovation, dans la recherche comme dans les modes d’organisation des soins. La pandémie appellera sans nul doute à des évolutions de nos villes, de nos espaces de vie et de travail, et de nos lieux de soin. Faire face nécessitera de s’adapter, et pose la question de la résilience du bâti et des organisations. Pour répondre aux crises autant que pour accompagner l’évolution permanente de l’hôpital, la Santé se redéfinie autour de valeurs communes en redonnant une place essentielle à l’humain.
Quelle sera la place de l’hôpital dans la ville, demain ?
L’Hôpital a évolué dans son Histoire, et dans la ville. D’abord refuge des miséreux relégués aux portes de la Cité, il s’est ensuite développé sur un modèle pavillonnaire, clos dans son enceinte, puis dans une forteresse technologique, le monobloc. Aujourd’hui, l’évolution des pratiques médicales et du système de soin conduit à son ouverture sur la ville, son écosystème d’acteurs, et à son inscription au coeur de Cité. L’hôpital s’ouvre à la mixité des usages et des services. Il tisse des liens nouveaux avec son territoire et l’ensemble des acteurs de la chaîne du soin. L’Hôpital est le reflet son époque, où les qualités de durabilité et de mutabilité convergent pour répondre à l’incertitude. Anticiper les mutations futures, c’est inventer des potentiels qui combinent des modèles résilients sur les plans hospitalier et urbains. Dans un monde métropolitain en croissance, il devra aussi imposer sa densité, gage d’efficacité, et inventer un paysage urbain où le végétal reprend sa place comme élément thérapeutique à part entière. Responsable et durable, l’Hôpital de demain affirmera sa performance Bas Carbone et favorisera les plus-values d’usage. Lieu repère de la cité, il s’inscrira résolument dans la ville et le quartier, en installant des coopérations bénéfiques à la qualité du soin comme des conditions de travail des soignants.
Est-ce que l’hôpital, ou en tout cas certains hôpitaux, ne deviennent-ils pas de véritables villes ? Le monobloc a sans doute interrompu une histoire de l’hôpital articulée avec celle de la cité-jardin. L’évolution actuelle pourrait-elle permettre de renouer avec cette histoire interrompue, en dépassant la seule addition des services sanitaires pour faire de l’hôpital un véritable lieu public, urbain et citoyen ?
Réconcilier la technologie et l’humain
L’Hôpital public français a connu des évolutions très rapides lors des dernières décennies, aussi bien sur les plans techniques qu’organisationnels, sans pour autant aboutir à un modèle unique qui les réconcilierait. Ces innovations ont eu un impact considérable dans les pratiques et les organisations, et réinterrogent toute la chaine de valeur, aussi bien en interne au niveau de la place et la valorisation des praticiens mais aussi dans la relation entre le patient et l’hôpital. Les bénéfices de ces progrès technologiques et organisationnels sont incontestables d’un point de vue performantiel et comptable mais ne doivent pas se faire au détriment du facteur humain qui reste la base de l’acte de soin. À l’ère du patient « augmenté » et de la décision partagée, c’est aussi toute la relation patient-soignant qui est à réinventer. Ce changement de paradigme réinterroge en profondeur le rapport à l’Hôpital et aux soins en général, mais révèle aussi les incertitudes qui pèsent sur l’avenir, et invite au pragmatisme et à l’humilité.
Humaniste et pluriel, son image sera celle du soin de demain, recentré sur la relation soignant-patient.
L’hôpital n’est plus seulement une machine à soigner, mais prend un visage plus humain, plus urbain. À l’ère des maladies chroniques et du vieillissement des populations, des crises sanitaires, il est nécessaire de rendre l’Hôpital plus appropriable, plus quotidien, plus généreux. Construire, c’est durer, et le temps est une dimension majeure de l’architecture. L’instabilité des programmes et l’obsolescence rapide des techniques ramènent toute projection à 15, 10 voire 5 ans. Les modèles obsolètes du passé nous ont enseigné la nécessaire modestie que requiert la conception d’un hôpital. En constante évolution, l’Hôpital est un chantier permanent qui devra s’adapter aux évolutions des profils épidémiologiques, des nouvelles attentes des patients, des pratiques médicales, des divers flux (patient, personnel, logistique…), des techniques constructives et des enjeux socio-environnementaux.
L’Hôpital ne peut donc être un bâtiment achevé : il doit être conçu comme un système résilient, garantissant sa plasticité et son évolutivité. Son architecture doit à la fois permettre, faciliter, encaisser ses mutations tout en garantissant son urbanité et ses qualités d’usage, à long terme. Au-delà du geste architectural, l’Hôpital est le résultat d’une conception collective. Plus qu’un projet, c’est une méthode où les utilisateurs deviennent aussi acteurs de la conception de leur Hôpital.
« Prendre soins des soignant » est essentiel pour garantir la qualité du soin. Première ressource de l’hôpital, la qualité de vie au travail des personnels est devenue un enjeu majeur pour les établissements. Il en va de leur attractivité et de leur capacité à innover et se développer. Ceux qui étaient applaudis à 20H00 lors du premier confinement subissent depuis plusieurs années une dégradation de leurs conditions de travail, qui impacte directement la qualité des soins. C’est aussi une souffrance pour les professionnels de ne pas assurer le niveau de soins qu’ils estiment satisfaisant. Renouant avec l’Histoire où l’hôpital a constitué un véritable laboratoire de l’architecture hygiéniste et bioclimatique, la construction actuelle devra également intégrer la responsabilité de la durabilité des constructions de santé. L’échelle des projets et la durée de leur conception impose de se projeter dans un avenir proche, celui de la ville durable. Le décloisonnement ville-hôpital tant attendu participera aussi à restaurer l’attractivité d’un équipement trop souvent encore isolé entre ses murs.
Une ouverture vers une conception nouvelle
L’évolution des pratiques et les modes de prise en charge du patient réinterrogent en profondeur la manière de concevoir l’Hôpital. Ce changement de paradigme, incarné notamment par le virage ambulatoire, est à l’oeuvre de façon concomitante à l’avènement du numérique.
Conçu aujourd’hui pour demain, l’hôpital se doit d’anticiper ces évolutions. Lean Design, BIM, intégration d’expertises nouvelles (…) :
les outils et les processus évoluent et appellent à une conception plus intégrée. Hôpital-réseau, architecture et numérique se complètent à toutes les échelles pour constituer un écosystème augmenté : hôpital hors-les-murs, télémédecine, ergonomie numérique, design d’interaction… L’alliance du design et de la technologie redonne toute sa place à l’humain et préfigure l’hôpital de demain.
L’hôpital de demain doit aussi offrir un cadre plus efficient et plus humain, qui valorise les personnels et protège les personnes les plus fragiles. Quelle est la place des patients et des soignants dans ce processus ? Est-ce que les cadres actuels de commande permettent de répondre aux nouveaux enjeux de l’hôpital ?
Le renforcement du partenariat entre les maîtres d’ouvrage et les concepteurs, intégrant davantage les utilisateurs (soignants et patients) dans la conception serait une conséquence positive de la crise sanitaire. L’hôpital comme écosystème urbain et environnemental impose aussi d’inclure le riverain et le citoyen dans les processus de projet et de décision (coopération de services, biodiversité, agriculture urbaine, production d’énergie…). La construction des infrastructures hospitalières ne saurait donc faire l’économie d’un regard prospectif sur la participation et au-delà, sur sa contribution à la ville durable. Le cadre règlementaire actuel permet dès à présent de faire évoluer les pratiques et il ne tient à faire preuve de volontarisme